Au Brésil, la modification des règles sur l’appropriation des terres publiques en pleine crise sanitaire provoque la colère des populations locales

le 24/08/2020

Les députés brésiliens doivent prochainement se prononcer sur l’épineux sujet de l’appropriation illégale de terres publiques. En effet, le projet de loi 2660/2020 a été présenté à la Chambre des Députés du Congrès ce 14 mai. Il succède à la mesure provisoire 910/210 prise par le Président Bolsonaro en décembre 2019 devenue caduque le 19 mai 2020 faute de vote devant la Chambre.

Ayant force de loi et produisant des effets juridiques immédiats, les mesures provisoires doivent néanmoins être étudiées a posteriori devant le Congrès afin de devenir définitivement des lois ordinaires dans un délai de 120 jours après un délai de validité initial de 60 jours.Fortement contestée et dénommée « MP da Grilagem » par ses opposants (en raison de l’ancienne pratique brésilienne de vieillissement de documents falsifiés afin d’acquérir la possession de terres déterminées), la mesure en question visait à modifier la règlementation du régime foncier, notamment via l’amnistie d’invasions illégales de terres publiques pratiquées entre 2011 et 2018. En d’autres termes elle légalisait l’acquisition de milliers de propriétés rurales et transformait en propriétaire n’importe quelle personne les ayant acquises de manière illicite.

Ainsi, la MP 910 prévoyait la régularisation des terres occupées jusqu’au 5 mai 2014, modifiant ainsi une loi antérieure de 2009 qui exigeait que les occupants justifient d’une présence antérieure au 22 juillet 2008. De plus, le texte assouplit fortement les critères de régularisation, augmentant ainsi la superficie des propriétés susceptibles d’être privatisées. La règlementation relative au foncier brésilien n’est pas à sa première modification. De nombreux opposants estiment que ces altérations législatives successives permettent d’encourager la pratique du grilagem et ainsi de favoriser l’accaparement illégal de terres au détriment notamment des populations autochtones et des agriculteurs. Ils s’inquiètent notamment de la déforestation supplémentaire qui surviendrait à la suite d’une telle mesure. En effet, selon eux elle pourrait atteindre 1,6 millions d’hectares d’ici 2027 si une zone publique fédérale de 19,6 millions d’hectares était privatisée.

Au-delà de ces enjeux environnementaux et humains, la tenue du vote de la mesure provisoire 910/210 n’a pu faire l’objet d’un consensus au sein de la classe politique brésilienne. En effet, la mesure devenant caduque le 19 mai 2020 en l’absence de vote plusieurs députés brésiliens en ont demandé le retrait arguant de son caractère secondaire en raison de la pandémie du Covid-19 qui touche durement le pays. Cette demande a été rejetée et la MP 910/210 est devenue caduque. Néanmoins, s’y est substitué le projet de loi 2660/2020 qui, s’il diffère à quelques égards de l’ancien texte conserve pour autant son essence et sa logique. Les opposants au  nouveau texte estiment qu’aucune urgence ou lacune légale ne justifient la tenue du vote. Ils estiment par ailleurs qu’un débat est nécessaire en raison de l’objectif assigné à ce texte. En effet, la réforme prévoit une restructuration drastique du régime d’acquisition des terres brésiliennes. Le résultat serait d’avantager les grands producteurs via la légalisation de pratiques illicites.

La MP 910/210, et maintenant le projet de loi 2660/2020, interviennent dans la continuité de l’action législative du gouvernement Bolsonaro et de ses soutiens. Au milieu d’une pandémie mondiale ayant déjà fait plus de 25 600 morts selon les chiffres officiels parmi les brésiliens, le maintien du vote de ce projet de loi met en lumière l’orientation politique de l’exécutif relativement au futur des peuples autochtones et de la préservation de leur habitat. Ce projet a pourtant provoqué de nombreuses contestations tant par des organes internes comme le Ministère Public Fédéral (MPF) que par des artistes brésiliens ou encore par la communauté internationale.

Source : Alexandra Victoria Frenet, Amicus info via le Land Portal