Retour sur les journées de réflexion « Réforme, crises et développement : les enjeux du foncier agricole et rural au Mali »

Retour sur les journées de réflexion « Réforme, crises et développement : les enjeux du foncier agricole et rural au Mali »

du 04/04/2019 au 05/04/2019

Les 4 et 5 avril derniers, le Comité Technique « Foncier & Développement » a organisé dans les locaux de l’AFD à Paris deux journées de réflexion sur le thème « Réforme, crises et développement : les enjeux du foncier agricole et rural au Mali ».

Fidèle à l’esprit du Comité, ces journées ont été l’occasion de partager des analyses et des expériences, et de débattre de manière libre et ouverte des différents enjeux qui fondent la question foncière aujourd’hui au Mali. Regroupant une cinquantaine de participants (experts fonciers, représentants des organisations paysannes, représentants du Ministère de l’agriculture du Mali et de l’Office du Niger, chercheurs, et opérateurs de projet), les journées se sont articulées autour de trois sessions thématiques :

  • La mise en œuvre de la loi agricole.

Fruit de la mobilisation des organisations professionnelles agricoles et d’un vaste processus de concertations locales engagé par les autorités maliennes et soutenu techniquement et financièrement par l’AFD, la loi Foncière Agricole adoptée en 2017 assoit la reconnaissance des droits coutumiers individuels et collectifs et de la gestion locale du foncier. Elle constitue un élément juridique de sécurisation des droits fonciers locaux à différentes échelles : droits des communautés villageoises face aux acquisitions foncières à grande échelle, droits des ayants droit familiaux (dont les femmes et les jeunes) face aux abus de pouvoir de certains chefs de famille.

La mise en œuvre de la loi soulève de multiples incertitudes d’ordre financier, institutionnel et socio-politique. Les organisations professionnelles agricoles tentent de pallier à ce qu’elles perçoivent comme un manque d’engagement de l’Etat dans la mise en place des commissions foncières. La mise en place de commissions dans des zones pilotes financée sur projet, notamment dans la région de Mopti, pose la question de leur opérationnalité (représentativité et formation des membres, formation des juristes) et leur mise à l’échelle dans l’ensemble des communes.

De plus, le financement de l’ensemble du dispositif de la loi n’est pas assuré. Face à cela, les organisations professionnelles agricoles plaident pour que les retombées financières de l’exploitation minière industrielle pour l’Etat servent au financement d’investissements structurants dans l’agriculture. Plusieurs points de la loi ont fait l’objet de débats contradictoires. La loi réserve un quota de 15% des parcelles aux femmes et aux jeunes : élément de sécurisation des droits fonciers de ces catégories d’acteurs pour certains, cette mesure procède pour d’autres d’une méconnaissance des relations intrafamiliales et risque de mettre à mal la fonction de protection sociale de la famille. La question de l’intégration des échelles villageoises et communales des commissions foncières et celle de leur compatibilité avec la mobilité pastorale a également été posée. Enfin, comment concilier reconnaissance des « us et coutumes » et égalité des citoyens devant la loi ?

  • La sécurisation foncière dans la zone Office du Niger.

Pour relancer la production agricole à l’Office du Niger, de nombreux projets d’aménagements hydro-agricoles ont été mis en œuvre. Pour autant, les exploitants familiaux qui exploitent ces terres sont peu sécurisés dans leur accès au foncier. La réduction tendancielle de la taille des parcelles (superficies allouées par l’Office du Niger – par ailleurs variables selon les bailleurs de fonds ; séparation des familles) est particulièrement problématique au regard des contraintes que fait peser le paiement des redevances pour l’accès à l’eau (montant, calendrier). Elle alimente un marché foncier qui voit les parcelles des exploitants les plus fragiles être cédées au profit des détenteurs de capital, et peut être à l’origine de processus d’éviction pour non-paiement des redevances.

Réalisé récemment, l’audit foncier de la zone Office du Niger permet de tirer de nouveaux enseignements et d’ouvrir de nouvelles perspectives sur la question de la sécurisation des droits d’usage sur le foncier irrigué. L’audit formule notamment trois recommandations : 1) adapter l’organisation et mettre en place un système d’information et de gestion foncière pour répondre aux enjeux fonciers actuels ; 2) lutter contre la tendance à la micro parcellisation des terres ; 3) améliorer la sécurisation foncière des exploitations agricoles familiales.

  • L’articulation entre dynamiques du foncier agro-pastoral et conflits violents.

Dans le centre du Mali, les groupes djihadistes se sont recomposés et mobilisés autour d’un discours de rupture vis-à-vis de l’Etat et des élites locales et en particulier de leur mode de gestion des ressources pastorales. Les groupes djihadistes ont pris par endroits le contrôle des ressources naturelles aux maîtres de la terre et des pâturages et aux représentants de l’Etat. Le recours aux armes aux mains des milices communautaires est devenu un mode d’accès et de contrôle des pâturages et des terres de culture. Cette situation interroge directement l’imbrication des dimensions économiques, politiques, identitaires et territoriales du foncier agro-pastoral. Dans ces conditions, les échanges ont largement dépassé le cadre des dynamiques foncières pour donner à voir les enjeux d’un dialogue visant à renouveler le contrat social entre l’Etat et les sociétés locales dans le centre du pays.

Grand témoin, M. Ousmane Sy, ancien ministre de la décentralisation, a clôturé le séminaire et remis en perspective les questions foncières analysées dans les différentes sessions avec les enjeux de développement des territoires ruraux, de décentralisation et de construction de l’Etat au Mali. En construisant son exposé autour des territoires et des échelles de gouvernance, M. Sy a repris trois idées clés des débats : en premier lieu, la réponse à la crise ne peut se résumer à une réponse sécuritaire et militaire ; il y a un besoin d’élaborer une réponse à la crise en lien étroit avec les acteurs locaux ; et enfin il y a une nécessité plus globale de repenser l’Etat et son rapport aux territoires et sociétés locales.

 

Le secrétariat du Comité Technique « Foncier et Développement » prépare actuellement une note de synthèse valorisant les interventions et les débats de ces deux jours de séminaire qui sera diffusée sur le portail du CTFD.