Le sociologue Bernard Duterme est directeur du Centre tricontinental (Cetri), un groupe d’études indépendant sur les rapports Nord-Sud, et membre du Groupe international de travail pour les peuples autochtones (Gitpa). Il est l’auteur de l’Avenir des peuples autochtones (Cetri-l’Harmattan, 2000).
Le conflit autour du projet éolien d’EDF à Unión Hidalgo est-il un cas isolé au Mexique ?
Le cas d’Unión Hidalgo illustre une forte tendance à l’œuvre en Amérique latine. Les mouvements indigènes de contestation contre les mégaprojets de développement, énergétiques, routiers ou miniers, c’est la grande affaire de ces vingt dernières années sur le continent. On recense plus d’une centaine de conflits de ce type : les communautés indigènes, dépossédées de leurs territoires, se rebellent contre l’intrusion des investisseurs nationaux ou étrangers. Souvent, elles n’ont pas été consultées pour des projets qui s’organisent à leur insu. On touche à l’essentiel de la conflictualité sociale latino-américaine actuelle.
Qu’est-ce qui a provoqué cette tendance ?
D’abord, l’explosion du prix des matières premières, qui a conforté l’Amérique latine dans sa position de fournisseur du marché mondial en ressources naturelles, au détriment des terres des communautés indigènes qui les abritent. C’est aussi le résultat d’une réforme constitutionnelle de 1992 : la condition pour faire entrer le Mexique dans l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) était de libéraliser le marché de la terre. Le pays a modifié le statut d’appartenance collective des terres indigènes, un des reliquats de la révolution mexicaine, en autorisant la vente des terres communales. Résultat : l’accaparement de ces territoires par des grands propriétaires privés s’est accéléré. Cette forme d’accumulation par dépossession des autochtones a pris récemment une ampleur incroyable.
Ceux qui s’approprient les terres le font-ils de manière légale ?
Plus ou moins. Toutes les modalités d’accaparement privé des terres par les petits, moyens ou grands propriétaires existent. Certaines sont légales et se basent sur la réforme de 1992. D’autres le sont beaucoup moins et reposent sur des menaces explicites. Le rapport de force s’exprime alors de manière violente, toujours en défaveur des communautés indigènes. La pénétration toujours plus grande du capitalisme transnational sur les terres se fait au détriment de leur mode de vie.
L’Etat mexicain respecte-t-il les droits des communautés indigènes ?
Le Mexique fait partie des Etats d’Amérique latine qui ont signé le plus de conventions internationales, notamment la convention 169 de l’Organisation internationale du travail qui impose depuis 1989 le consentement libre, informé et préalable des peuples autochtones. Sur le papier, l’Etat mexicain est progressiste, mais entre les paroles et les actes, il y a une grande marge. Malgré ses promesses de campagne à l’égard de la cause indigène, le président Andrés Manuel López Obrador multiplie, comme ses prédécesseurs, les mégaprojets de développement, dans le sud-est du Mexique notamment. Sans respecter l’avis des peuples autochtones.
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