(extrait du livre « Qui a tué vos emplois ? » de Fiodor Rilov avec Alexia Eychenne)
Quatre cents kilomètres séparent Phnom Penh, la capitale du Cambodge, de la commune de Bousra, mais il faut plus de dix heures de voiture pour les parcourir. Dans la province de Mondulkiri, à l’est du pays, une deux-voies serpente au milieu des collines couvertes de bosquets verts qui ravivent la rougeur de la terre. Puis, la route s’enfonce dans la forêt jusqu’à d’immenses parcelles tracées au cordeau. À moins de 10 kilomètres à vol d’oiseau du Vietnam, des arbres au tronc mince s’alignent à perte de vue. Nous voilà au cœur des plantations d’hévéas, dont la saignée fait couler sur l’écorce le caoutchouc naturel.
Dans la voiture, ce jour de 2015, m’accompagne Samin Ngach. Cet étudiant en droit, la vingtaine, est l’un des principaux responsables d’une association de soutien à la jeunesse indigène cambodgienne. La route traverse les sept villages de Bousra. Là vivent 850 familles, dont plus de 90 % appartiennent comme Samin à la tribu des Bunongs. Ce peuple possède une langue, une culture et des croyances spécifiques, différentes des Khmers. Les Bunongs vivent de la terre grâce à une agriculture vivrière itinérante. Une grande partie des sols est laissée en jachère par roulement pour leur permettre de se régénérer. Le champ, qu’ils appellent mir, sert de lieu de vie et de culte. Leurs rites animistes sacralisent la forêt où reposent les ancêtres. La nature n’est pas pour eux qu’un moyen de subsistance. Elle est au cœur de l’identité et de l’organisation sociale de la communauté.
Au Cambodge, l’hévéa est à la fois de l’or vert et une malédiction. Le gouvernement perçoit le développement de sa culture comme une chance de s’enrichir pour le pays. Les autorités adhèrent corps et âme aux projets des sociétés privées étrangères dans ce secteur. Pour les Bunongs, c’est une tout autre histoire. L’arbre à caoutchouc a provoqué une catastrophe. Les exploitants se sont emparés de leurs terres pour les convertir à l’hévéaculture sans véritable consultation ni étude d’impact environnemental et social. Le consentement libre et éclairé des paysans n’a pas été recueilli. Certains ont reçu une compensation dérisoire, de l’ordre de 200 dollars par hectare. C’est peu pour des pratiques agraires, des rites et des traditions piétinés. Près d’un millier de Bunongs luttent aujourd’hui pour tenter de retrouver leur territoire, une bataille à laquelle je vais m’associer.
Lire la suite de l’article : https://www.farmlandgrab.org/post/view/29577
Source : Farmland Grab
Rejoignez-nous sur
LinkedIn X Facebook