L’accès à la terre au Bénin: A Toviklin, la terre appartient aux hommes

le 22/10/2020

Dans le département du Couffo au Bénin, les femmes peinent à accéder à la terre, victimes d’une tradition qui résiste au temps. Toviklin, une commune du département ne fait pas exception à cette regrettable mentalité.

« La tradition est foncièrement contre le partage de la terre à la femme », se résigne Eloïse Ghossou, ancienne conseillère communale de Toviklin. Cette institutrice, elle aussi victime, puise son courage dans son niveau d’étude. Orpheline à l’âge de six ans, elle a usé de stratégie pour cacher les conventions de vente des parcelles de son feu père à ses frères, quand elle est devenue majeure. Pour l’heure, elle retient son souffle en espérant que le prochain verdict attendu du juge depuis deux mois sera prononcé en sa faveur.
« Les hommes sont prêts à nous fragiliser et même à nous ôter la vie à cause de la terre. J’ai le sentiment qu’on refuse de rendre justice à la femme, à cause de son sexe. Notre misère augmente en dépit de l’existence des lois. Les autorités font juste semblant de nous écouter », se lamente-t-elle.
Le statut de sa majesté Adjignon Natabou, reine des Adja Fiokomènou, n’a pas permis pour autant d’inverser la tendance. Elle a vécu une expérience périlleuse bien qu’étant sur le trône depuis 10 ans. « Les difficultés d’accès des femmes à la terre sont une dure réalité socioculturelle à Toviklin. Les femmes se résignent. C’est dommage ! », se désole-t-elle.
C’est tout un mythe qui entoure l’accès des femmes au foncier en pays adja (les villes du Mono-Couffo, dans le sud-ouest du Bénin). Les hommes estiment que quand la femme se marie, ses biens profitent à ses enfants et à son conjoint. Le mariage de la femme est souvent pris comme prétexte pour la priver de ses droits fonciers. C’est cette réalité que traduit Gilbert Togbonon, magistrat et par ailleurs auteur du Guide du foncier au Bénin, lorsqu’à l’occasion d’une formation des élus locaux en 2017, à Tori (40 km à l’ouest de Cotonou), il déclare : « En milieu rural, une catégorie de femmes ne sera pas propriétaire terrien à cause de l’héritage transmis ».
Sa majesté Benjamin Hèlègbé Aïkpo, roi de Lalo, défend cette tradition : « On ne peut pas partager équitablement l’héritage foncier à la femme et l’homme, conformément aux textes. C’est une aberration ! Sur six parcelles par exemple, la femme peut hériter de deux et l’homme de quatre. C’est l’homme qui perpétue la succession et non la femme. Or, la terre ne grandit pas ».
Cela dénote une certaine «chosification» de la femme comme le dénonce la présidente de l’Ong Edi, Hortense Anissey Oké : « La femme elle-même est considérée comme un héritage de sa belle-famille après le décès de son mari ». Pour inverser la tendance, il urge que les chefs traditionnels soient édifiés sur les droits de la femme et acceptent qu’un ordre nouveau soit installé. Et surtout, les femmes elles-mêmes doivent prendre conscience des avantages que leur confère la loi. Telle est, du moins, la position de Huguette Bokpè Gnacadja, avocate au Barreau de Cotonou. « Tant que les discriminations observées à l’égard des femmes persisteront, avec leur lot de violences et autres privations, en dépit des sensibilisations, elles seront toujours confrontées aux difficultés », tranche-t-elle. Pour le moment, le statu quo persiste.

Des obligations et pas des droits

Sur une population de 88 611 habitants selon le dernier recensement de la population réalisé par l’Institut national de la Statistique et de l’Analyse économique, en 2013, les femmes de Toviklin représentent environ 75 % de la main-d’œuvre agricole locale. Elles sont à jour de leurs obligations, mais privées de leurs droits. « Les femmes constituent la majorité de ceux qui payent leurs taxes sur les produits agricoles. Elles contribuent pour une part importante à l’accroissement de l’économie locale », reconnait Rigobert Tozo, maire de Toviklin. Pour autant, la mairie ne dispose pas encore d’une cellule genre capable de se pencher convenablement sur les disparités entre hommes et femmes dans le domaine foncier. Plus embarrassant, le Plan de développement communal 2015 de la localité est muet sur les priorités à accorder aux paysannes confrontées aux problèmes domaniaux, même si la mairie organise les femmes en groupements.
Un paradoxe tout de même : les femmes du Couffo sont réputées pour leur rôle de « chef de famille », dévolu aux hommes selon la plupart des traditions béninoises. En fait, elles travaillent la terre pour nourrir enfants et maris. Toutefois, l’heureux du foyer que la femme considère comme son « dieu », l’aide à gérer son budget et son économie. Avec cette situation qui procure au mari, le beurre et l’argent du beurre, ce n’est pas demain que la femme sera rétablie dans son droit au foncier. Pour le moment, les femmes se résignent ou tentent des règlements à l’amiable pour échapper à la foudre de leur communauté.

 

Source : Eric Comlan, Visage du Bénin via le Land Portal