Les menaces asymétriques qui caractérisent les régions sahélo-sahariennes, et qui tendent à déborder sur les Etats côtiers, notamment ceux d’Afrique de l’Ouest, constituent une grande source d’inquiétude quant au risque d’extension des phénomènes de violence perpétrés par des groupes armés non étatiques, qui se sont autoproclamés de la mouvance islamo-djihadiste. A la lumière de cette nouvelle menace, qui est loin d’être mono-causale, on note un regain d’intérêt pour d’anciens phénomènes conflictuels récurrents dans les relations intra et intercommunautaires en Afrique subsaharienne, notamment en milieu rural. Gaye (2017 :6) constate qu’en Afrique Subsaharienne : « La paix et la sécurité sont menacées par une multiplicité de causes, de plus en plus complexes, résultant de l’interaction de la variété de circonstances et d’influences perceptibles. La lutte pour les ressources, les tensions ethniques, les conflits violents provoqués (transfrontaliers), la criminalité organisée, le terrorisme islamiste et le narcotrafic ont contribué à déstabiliser la région du Sahel, et fragilisé la paix et la sécurité… Cependant, ces menaces ne doivent pas occulter l’importance de conflits anciens dans cette région d’Afrique comme les conflits entre agriculteurs et éleveurs, les conflits fonciers qui gravitent autour de l’exploitation des ressources naturelles. »

De nombreuses études ont montré qu’une des stratégies des groupes armés non étatiques de la mouvance djihadiste est de profiter des sources de conflits et des foyers potentiels de tension dans les différents pays pour s’y infiltrer (Cilliers 2004, Müller-Rowold et Ferrini 2019). Les pays côtiers frontaliers du Niger, du Burkina Faso et du Mali, notamment le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire et secondairement le Ghana, sont de plus en plus menacés d’extension des mouvements djihadistes. Caractérisant la généralisation des risques d’insécurité dans le monde depuis le 11 septembre 2001, le sociologue allemand Ulrich Beck, qui a développé le concept de « société du risque globalisé », affirme que tous les pays sont devenus désormais membres d’une « communauté mondiale du risque » en ce sens qu’aucun pays n’est épargné et aucun pays isolé ne peut y faire face tout seul » (Beck 2003 :31). La « société du risque globalisé » se caractérise aussi, selon Beck, par « l’obsession de stimuler le contrôle de l’incontrôlable à tous les niveaux, dans la politique, dans le droit, dans la science, dans l’économie, dans la vie quotidienne. » (Beck 2003 :31). Comment stimuler le contrôle de
l’incontrôlable sans avoir une connaissance fine des contextes d’émergence des risques, des facteurs et des manifestations des conflits, ainsi que leurs modes de résolution ? De son côté, Maxime Ricard, dans une étude récente sur les défis du secteur de la sécurité en Côte d’Ivoire, écrit ceci : « Face à la pression des groupes armés djihadistes au Nord, les forces de défense et de sécurité ont besoin d’améliorer leurs relations avec les populations, tandis que les réponses aux défis ne peuvent se limiter à une dimension purement coercitive » (Ricard 2021 :1). Il est donc évident qu’une étude systématique des contextes s’impose pour mieux connaître les facteurs de risque d’insécurité et de conflits violents, leurs modes opératoires, les acteurs en présence ainsi que leurs motivations, leurs stratégies d’action, les enjeux et logiques qui entourent leurs choix et engagements ou non engagements, ainsi que les perceptions des différentes catégories d’acteurs impliqués dans ou chargés de la résolution des situations conflictuelles, aussi bien ceux du registre étatique que du registre communautaire formel ou informel. C’est à cela que cet article essaie de contribuer à partir du Nord-Bénin et du Nord-Togo.