Quel avenir pour le pastoralisme dans le Sahel ? Interview de Boureïma Dodo, pour ID4D.

le 05/05/2020

Interviewé à l’issu de son intervention lors des journées de réflexions organisées par le Comité en février sur les enjeux fonciers du pastoralisme en Afrique Subsaharienne, Boureïma Dodo, secrétaire général du Réseau Billital Maroobé au Niger revient sur l’avenir du pastoralisme dans le contexte de crise actuel dans la région du Sahel.

Les propos ont été recueillis par Thomas Hofnung pour le blog ID4D animé par l’AFD.

Le pastoralisme est l’une des principales activités économiques dans le Sahel, mais celle-ci fait face à de plus en plus de menaces. Quelles sont-elles ?
Il faut d’abord citer l’insécurité qui règne dans les zones de transit du bétail, notamment dans les régions frontalières, mais aussi dans les zones d’accueil. Les pasteurs sont souvent perçus localement comme des vecteurs d’insécurité. Il est vrai que certains malfaiteurs profitent de la transhumance pour commettre leurs forfaits : voleurs de bétail, bandits, membres des groupes armés et bien d’autres se servent de la mobilité du bétail pour échapper aux contrôles. Cela nous porte tort, et cela fragilise notre filière, car la méfiance augmente envers les pasteurs.

La traversée des frontières est-elle plus compliquée, voire impossible pour accéder à certains territoires ?
Absolument. Le Bénin, par exemple, a fermé sa frontière pour tous les transhumants issus des pays frontaliers (le Nigeria, le Niger, le Burkina) arguant des raisons de sécurité. Il s’agit d’une mesure discriminatoire à l’encontre des pasteurs, et même des éleveurs en général. Les textes communautaires, qui ont été négociés et acceptés par tous dans la région, sont violés. Au Nigeria, la mobilité en direction du sud devient un véritable défi, avec la multiplication des conflits intercommunautaires, et pas seulement à cause des agissements de Boko Haram. Au Togo, on peut continuer de circuler mais dans le cadre d’un dispositif administratif de plus en plus contraignant. Les taxes y ont augmenté sensiblement.

Dans ce contexte sécuritaire dégradé, les éleveurs d’origine peule n’ont-ils pas tendance à être assimilés à des « terroristes » au Sahel ?
La stigmatisation dont ils font l’objet ne date pas d’aujourd’hui. Il suffit qu’une bagarre éclate, ne serait-ce qu’entre deux « frères », pour qu’on l’impute aux Peuls. Mais ce mouvement n’est pas uniforme. Au Niger, on ne relève pas de tension particulière avec cette communauté. En revanche, les conflits intercommunautaires se sont développés au Mali et au Burkina, c’est indéniable. Disons que des formes d’intolérance préexistaient et que la présence de figures peules au sein des mouvements armés, parfois même à leur tête, a servi d’étincelle.

Devez-vous verser des taxes à des groupes armés pour faire circuler les troupeaux et maintenir le pastoralisme ?
Certains groupes, c’est vrai, prélèvent des taxes pour financer leurs activités sur les territoires qu’ils contrôlent. Ils prélèvent la « zakat » sur les éleveurs. D’ailleurs, les assassinats de chefs de village ou de responsables sont souvent liés à leur refus de payer cet impôt, et au fait qu’ils alertent les autorités locales ou l’État. La région de Tillabéry, dans le sud-ouest du Niger, a toujours été une zone soumise au vol de bétail, avant même la dégradation de la situation sécuritaire dans le Sahel. Une filière achemine ce cheptel volé jusqu’en Mauritanie. Hélas, les rébellions, quelle que soit leur taille, ont toujours vécu sur le dos des éleveurs.

Quelle est l’attitude des autorités face à cet état de fait ?
Nous avons toujours été marginalisés, exclus du foncier dans de nombreuses zones et des investissements socio-économiques consentis par les gouvernements de la région. Nos droits ne sont pas protégés, sans doute à cause de notre mode de vie, et de notre mode de production. Les autorités ne tiennent pas compte de la mobilité des éleveurs. Malgré les conventions signées entre l’État et les éleveurs, nos enfants sont largement exclus de l’enseignement. Tout se passe comme si les autorités locales ne faisaient pas confiance aux pasteurs.

L’ancienne puissance coloniale française avait cherché à sédentariser les populations du Sahel. Après l’indépendance, les États ont-ils voulu faire de même ?
Absolument, ils ont appliqué les mêmes politiques. Les zones dans lesquelles les éleveurs circulent sont gérées selon une logique militaire, selon des normes « sédentaires », sans accompagnement adéquat, notamment au niveau des infrastructures. C’est le cas, par exemple, pour l’implantation des puits, dont la localisation n’est pas adaptée aux trajets des éleveurs nomades. Ces normes nous ont beaucoup défavorisés. La floraison de codes pastoraux adoptés au fil des années par les États de la région n’a jamais garanti les droits des éleveurs. On en est resté au stade des déclarations.

Les éleveurs participent-ils à la vie publique ? Votent-ils ?
Ils sont censés voter sur leurs territoires. Mais beaucoup ne participent pas, se montrent indifférents. Pourquoi aller voter ? Cela ne change rien à leur vie quotidienne. Ils ne connaissent ni le préfet, ni le sous-préfet. Encore moins le président, qui est si loin…

On lie souvent les principales difficultés qui ont cours dans le Sahel à sa très forte croissance démographique. Qu’en pensez-vous ?
On utilise cet argument contre le pastoralisme, contre la mobilité, qui consomme beaucoup d’espace. Faut-il exclure petit à petit les pasteurs de ces espaces sous prétexte que la population sédentaire croît rapidement dans la région ? Les territoires où évoluent nos troupeaux sont progressivement accaparés : par de riches propriétaires, par des sociétés étrangères, notamment minières, qui spéculent sur la terre. Notre territoire est devenu très convoité ! Ces terres sont achetées à des éleveurs fragilisés qui n’ont d’autre choix que de vendre, non pas pour y investir, juste pour les garder et les revendre plus tard à un prix plus élevé. Or, en théorie, aucune vente ne devrait avoir lieu dans les zones pastorales, des espaces communautaires qui par définition appartiennent à tout le monde. Ce n’est pas légal. L’État peut lui-même entretenir une certaine confusion entre les espaces communautaires et le domaine public. Parfois, il décide d’attribuer sous forme de concessions des terres à des opérateurs économiques privés dans des conditions discutables.

Le dérèglement climatique a-t-il un impact sur le pastoralisme ?
C’est une réalité. On note une amplitude grandissante des températures. Dans le Sahel, les périodes chaudes sont de plus en plus chaudes. Lors des périodes pluvieuses, les précipitations sont plus intenses. Ces changements climatiques touchent tout le monde, les agriculteurs sédentaires comme les éleveurs, même si le pastoralisme, par nature, s’adapte mieux. Toutefois, ces dernières années, de nombreux animaux très affaiblis par la sécheresse ont été emportés par des pluies diluviennes marquant la fin de la saison sèche. De plus, ces précipitations détruisent les tiges de mil, de riz, qui constituent des fourrages complémentaires à hauteur de 10 % de l’alimentation du bétail.

Qu’en est-il des nouvelles générations : l’avenir du pastoralisme est-il assuré ?
Beaucoup de jeunes se détournent de cette activité. C’est certes lié à la pénibilité de la tâche, mais aussi à un conflit intergénérationnel. Chez les Peuls, dès qu’un enfant naît, on le dote d’un animal. En grandissant, il devient à son tour propriétaire d’une partie du troupeau familial. Or, de plus en plus, les jeunes veulent vendre leur bétail pour consommer : acheter une moto, un téléphone, etc. C’est nouveau, et cela crée des tensions entre les aînés et les jeunes au sein des familles. Les valeurs ont changé. Traditionnellement, les éleveurs n’ont que très peu de liquidités, or les jeunes veulent de l’argent.

Êtes-vous inquiet pour l’avenir du pastoralisme ? L’avenir est-il à la sédentarisation ?
Je suis confiant sur notre capacité à surmonter les difficultés actuelles. Les bienfaits du pastoralisme sont reconnus dans toute la région. Nos organisations professionnelles demeurent robustes, malgré l’individualisme grandissant. Dans une famille de sept éleveurs, on pourrait très bien imaginer, demain, qu’un seul demeure pasteur tandis que les autres se convertiraient à l’agriculture. Mais tout dépendra de la capacité de l’État à valoriser ce secteur. La sédentarisation ne se décrète pas. En outre, si demain tous les pasteurs décidaient de se sédentariser, les problèmes fonciers seraient beaucoup plus graves qu’aujourd’hui ! Il faut bien comprendre que les éleveurs descendent vers le sud contraints et forcés, pour alimenter leur bétail. Mais les fourrages du Nord sont de bien meilleure qualité que les pâturages du Sud, moins nutritifs, bourrés de maladies. Dans le Sahel, il y a de l’eau sous nos pieds, parfois à seulement trois mètres de profondeur. Si l’on s’y prend bien, nous avons de quoi nourrir tous les pays de la zone sahélienne. Mais pour ce faire, on a besoin d’une bonne politique agricole !

Quel est le rôle joué par les acteurs extérieurs ?
En ce qui concerne l’élevage, l’essentiel nous vient précisément de l’extérieur : des aménagements pastoraux à la confection du Code pastoral qui, au Niger, a été financée par la Coopération suisse ! Depuis l’apparition et la montée en puissance des groupes armés dans la région, beaucoup d’acteurs ont commencé à se pencher sur les enjeux du pastoralisme, c’est très positif en soi. Mais nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusions : cette effervescence est en grande partie liée à la vision sécuritaire des pasteurs assimilés à « la première ligne de défense » face aux djihadistes. Il faut que les États locaux s’impliquent davantage, y compris financièrement.

Source : ID4D