Rapport d'expertise

Communs en conflit au Mexique. Reconfigurations des ressources de l’espace rural et de leur gouvernance dans un contexte néolibéral

Kelly Redouté (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales; Géographie-Cités UMR 8504) | Comité Technique "Foncier & développement" | 2024 |
Communs en conflit au Mexique. Reconfigurations des ressources de l’espace rural et de leur gouvernance dans un contexte néolibéral

En 1992, une politique de formalisation des droits et de libéralisation du foncier annonçait un bouleversement dans la structure agraire du Mexique. Cette réforme autorisait, sous certaines conditions, la parcellisation et la privatisation des ejidos, un régime de propriété collective inscrit dans la Constitution de 1917. Elle visait notamment à dynamiser le marché foncier et stimuler les investissements dans un contexte d’ouverture commerciale et de « désagrarisation » des campagnes. Depuis, les recompositions des espaces ruraux et l’évolution des modalités d’appropriation des ressources ne se sont pas faites sans heurts au sein des ejidos, notamment en ce qui concerne les communs. Pourtant, les conflits ejidaux ne sont pas propres à l’ère néolibérale. À la fin du xxe siècle, la conflictualité a précisément été l’une des justifications de la politique de formalisation des droits fonciers, en autorisant des pratiques qui s’opéraient jusqu’alors en dehors du cadre légal.

Ce rapport examine l’enchevêtrement entre la recomposition des espaces ruraux au regard de l’évolution de leurs ressources, la transformation des communs ejidaux et l’explosion de conflits fonciers au Mexique, à différentes périodes. Il contribue ainsi à éclairer les problématiques contemporaines liées aux communs et aux conflits corolaires depuis la libéralisation du foncier, tout en les reliant aux dynamiques et aux conflits passés. À travers l’analyse de deux cas d’étude (San Lorenzo Albarradas au Oaxaca et Chocholá au Yucatán), en apparence très différents, ce rapport documente les processus de redéfinition conflictuelle des communs, en tenant compte de leur diversité et de leur temporalité propre.

L’étude formule trois recommandations à destination des politiques publiques. D’abord, elle insiste sur la nécessité d’accompagner les communautés ejidales dans le maintien des communs en leur accordant une place plus significative dans les projets nationaux. Ensuite, elle souligne l’importance de lutter contre les inégalités internes, en renforçant la médiation liée à la répartition équitable des droits d’accès aux ressources communes et des bénéfices économiques qu’elles génèrent. Enfin, elle met l’accent sur la prévention de toute ingérence de tiers dans les affaires communautaires. Ces mesures s’attaqueraient aux causes profondes qui ont contribué à fragiliser les communautés ejidales tout au long du xxe siècle, les rendant vulnérables à l’influence croissante d’acteurs privés du développement depuis les années 1990, lesquels entretiennent les divisions locales pour servir leurs propres intérêts.