Appropriations foncières à grande échelle

Appropriations foncières à grande échelle

Les processus d’appropriation et de concentration des terres cultivables par de grandes entreprises dans de nombreux pays du Sud et de l’Est ne préoccupent pas seulement les paysans, mais aussi les sociétés civiles, les institutions internationales et un certain nombre de gouvernements. Avec la transformation des modes de production et de distribution des biens et dans le contexte international actuel, avec le développement de la sphère financière, la raréfaction des énergies fossiles, la crise écologique globale et les évolutions démographiques, les phénomènes d’accaparement des terres et des ressources changent de nature et se transforment en une menace pour l’humanité toute entière.

Le Comité technique « Foncier et développement » et AGTER avaient dès juin 2010 présenté les grandes lignes de ces évolutions et quelques axes de travail pour y faire face (voir « Les appropriations de terres à grande échelle. Analyse du phénomène et propositions d’orientation »). Cette analyse réaffirmait deux principes de base: la défense des droits existants des populations sur la terre et les ressources et la nécessité de reconnaître des droits collectifs permettant la compatibilité des usages et des droits privatifs individuels avec l’intérêt général. Tout en reconnaissant l’importance de la mise en place de mesures volontaires, le document soulignait que le problème ne pourrait être traité en s’appuyant uniquement sur la bonne volonté d’entreprises « socialement responsables ». Pour cela, il affirmait qu’il fallait travailler dès à présent à la mise en place progressive d’un cadre juridique contraignant au niveau  mondial et développer des politiques et des mécanismes qui rémunèrent le travail et l’efficacité économique en redistribuant les rentes par le biais de la mise en place d’une fiscalité foncière.

Depuis, les écrits sur ce thème se sont multipliés, les études de cas de terrain ont proliféré, les estimations chiffrées également, souvent basées sur des approches pseudo scientifiques, les auteurs omettant de s’interroger sur la pertinence des chiffres qu’ils utilisent et de confronter leurs résultats aux autres sources disponibles. Dans ce brouhaha médiatique, la recherche de la précision sur les détails fait perdre de vue l’essentiel et le caractère global du phénomène … et les accaparements continuent de plus belle. La seule avancée a été l’adoption des « directives volontaires » du CSA et de la FAO, mais celles-ci se limitent à lister ce qui devrait être, leur caractère non contraignant ne permettant pas de changer les dynamiques en cours.

Pour toutes ces raisons, l’objectif de cette rubrique n’est pas de lister tout ce qui s’écrit sur le sujet, mais de contribuer à faire avancer la réflexion et mettre en place des mesures concrètes, le plus rapidement possible. Pour cela, il faut s’interroger sur ce qu’est un investissement et sur les types d’investissement dont le monde a besoin pour garantir la sécurité alimentaire, l’emploi et préserver l’environnement, en distinguant les investissements des phénomènes de privatisation et souvent d’exploitation « minière » des ressources communes. Il faut traiter de ces grandes questions planétaires, ainsi que de la création de richesses et de leur distribution en prenant en compte l’intérêt général et pas seulement l’intérêt des entrepreneurs. Le seul jeu des marchés ne pourra suffire à optimiser les évolutions, il faudra des régulations et des politiques publiques aux différents niveaux de gouvernance. Par delà le débat entre les différents modèles de production, agrobusiness ou production à petite échelle, se cachent de véritables choix de société, dont les enjeux sont vitaux pour notre survie.