Retour sur le séminaire « Genre et Foncier » : sortir des préconçus et accompagner l’action publique

Retour sur le séminaire « Genre et Foncier » : sortir des préconçus et accompagner l’action publique

du 20/06/2025 au 20/06/2025

Le 16 juin 2025, plus de quarante participants – chercheurs, praticiens du développement, représentants d’ONG et membres de la société civile – se sont réunis dans le cadre du séminaire « Genre et Foncier », organisé par le Comité technique Foncier et Développement. Cette journée d’échanges a permis de présenter et discuter les résultats des recherches menées par le consortium Cirad, IRD, Gret, ESSA Antananarivo et Think Tany, qui a produit une revue de littérature (Regard sur le Foncier n°21) et une synthèse d’études de cas publiée dans l’ouvrage « Inégalités en tout genre ? Accès à la terre et sécurisation foncière pour les femmes » (Regard sur le foncier n°25).

Les études de cas conduites à Madagascar et en Côte d’Ivoire, proposent une lecture fine des inégalités de genre dans l’accès et le contrôle du foncier. Loin des approches standards souvent véhiculées dans les politiques publiques ou les projets de développement, tendant à essentialiser la catégorie « femmes » sans tenir compte de la diversité qu’elle recouvre en termes d’appartenance (statut familial, statut social, pouvoir socio-économique), les chercheurs ont choisi d’approfondir l’analyse en s’appuyant sur des enquêtes de terrain approfondies et le recueil de récits de femmes malgaches présentées dans un film documentaire. Plutôt que d’entrer directement par l’accès et les droits des femmes, les équipes ont adopté une approche méthodologique qui permet d’identifier les unités de gestion foncière et d’analyser les règles du jeu de la gouvernance foncière pour ensuite en déterminer les implications genrées.

A travers des études quantitatives et qualitatives à Madagascar, et une analyse historique des modalités de contrôle des parcelles agricoles dans un village ivoirien, ces résultats de recherche soulignent les facteurs pouvant engendrer des difficultés d’accès au foncier, de l’insécurité foncière et parfois un sentiment d’injustice pour les femmes (notamment lors des séparations ou en cas de décès du mari). Les enquêtes quantitatives réalisées à Madagascar, qui s’écartent des analyses statistiques conventionnelles uniquement centrées sur le sexe du « chef de ménage », permettent de révéler la finesse des modalités de gestion foncière au sein des familles en détaillant les faisceaux de droits existants sur les différents types de parcelles (parcelles amenées par chacun des conjoints lors des unions, parcelles conjointes achetées ensemble, parcelles héritées, etc.) et de questionner la manière dont les politiques publiques tiennent compte de ces réalités. Par exemple, les certificats fonciers à Madagascar ne prévoient que l’inscription d’un seul nom (et dans la quasi-totalité des cas, c’est celui de Monsieur qui y est inscrit) alors que certaines parcelles sont considérées par les hommes et par les femmes comme des parcelles conjointes achetées ensemble et appartenant aux deux. De la même manière, l’étude conduite en Côte d’Ivoire montre que les parcelles communes sont en général gérées au sein de fratries (fratries de même mère ou fratries de même père selon les régions), alors que les études et débats se concentrent davantage sur les relations intergénérationnelles ou la gestion du foncier à l’échelle du ménage.

Les discussions tenues durant le séminaire ont permis d’échanger sur la manière dont les écarts structurels entre hommes et femmes en matière de possession foncière, d’héritage, et d’accès à la terre, peuvent être mis en débat au sein des communautés locales et dans les dialogues de politiques publiques. A rebours de l’idée « d’autonomisation », les travaux présentés invitent à prendre acte des interdépendances au sein des groupes familiaux qui assurent les fonctions de production, de consommation, et de protection sociale. Il existe en réalité une diversité de formes d’organisations familiales (contre l’image caricaturale d’un patriarcat généralisé) et il est important de s’appuyer sur les représentations que les femmes se font des organisations familiales, de leurs avantages et inconvénients. Dans un contexte changeant marqué par une pression foncière accrue, des mécanismes de conversions des usages des sols, le développement des activités non agricoles, les migrations et activités urbaines, la répartition des rôles et responsabilités au sein des groupes familiaux évoluent, les mécanismes de solidarité intrafamiliaux aussi, et il s’agit de limiter la vulnérabilité des femmes, notamment en cas de séparation ou de veuvage.

Le séminaire a ainsi offert un espace d’échanges fécond entre chercheurs, acteurs de la société civile, praticiens et décideurs. Une volonté commune s’est dessinée : celle de sortir des approches normatives ou victimisantes pour construire des outils d’action publique et de dialogue au sein des terroirs en s’appuyant sur des acteurs légitimes capables d’ouvrir un espace d’échanges sur les rapports de pouvoir existants à l’intérieur des familles et des communautés et la manière d’intégrer davantage les femmes dans les espaces de gouvernance locale. Ce type d’approches a fait l’objet de capitalisations au Mali et au Sénégal par l’UACDDD, Enda Pronat et Agter (Regard sur le Foncier n°24).

La rencontre s’est clôturée par une table ronde autour de la présentation de l’ouvrage biographique de Mariam Sow intitulé Loumbi Nguido, la paysanne, publié en mars 2025 aux éditions L’Harmattan. Figure majeure de l’ONG sénégalaise ENDA Pronat et d’Enda Tiers-Monde, Mariam Sow a partagé les grandes lignes de son ouvrage en retraçant son parcours familial et professionnel remarquable. Issue d’un milieu modeste, sans formation académique poussée, elle est parvenue à jouer un rôle de premier plan au sein d’une organisation internationale et à insuffler une dynamique collective permettant de mettre à l’agenda politique du Sénégal la transition agroécologique. Son ascension repose sur une volonté inébranlable, une éthique exigeante et un engagement constant en faveur des communautés locales. Son livre constitue un précieux outil pour comprendre les combats que mènent les acteurs de la société civile sénégalaise, en faveur de la transition agroécologique, de la promotion de systèmes alimentaires durables et de la préservation des terres des communautés contre la marchandisation du foncier et l’accaparement des terres.