Côte d’Ivoire

La situation foncière en Côte d’Ivoire est fortement marquée par d’anciennes et intenses migrations agraires, notamment dans la zone forestière, et par un compromis institutionnalisé passé dès les années 1950 entre le régime et les différentes composantes de la société. Durant cette période de prospérité économique, ce compromis se traduit par le choix d’une politique libérale accordant des facilités aux entreprises étrangères en termes d’investissement et de fiscalité (en échange d’un soutien politique et financier), l’approfondissement de la spécialisation du pays dans l’exportation du café et du cacao, ainsi que l’ouverture des frontières aux capitaux étrangers et aux hommes, notamment à travers le recours à une abondante main d’œuvre étrangère en provenance des pays voisins. En contrepartie, l’accès à la terre est facilité pour tous ceux qui souhaitent la mettre en valeur, des investissements publics importants sont réalisés dans toutes les régions du pays et les prix agricoles sont garantis grâce à la caisse de stabilisation.

Ces choix initiaux ont longtemps été « payants » dans la mesure où la Côte d’Ivoire a bénéficié durablement d’un environnement international favorable. Cependant, après l’euphorie des années 1970, l’économie est prise en tenailles entre une dette explosive  et des recettes à l’exportation frappées par la chute des prix internationaux. La Côte d’Ivoire est alors soumise à des plans d’ajustement structurel : privatisation des sociétés publiques, assainissement budgétaire, et désengagement à marche forcée de l’État, sans prendre en compte les arrangements économiques et institutionnels pré-existants.

Faute d’être en mesure de réinventer de nouveaux compromis nationaux, la classe politique ivoirienne va alors suivre une dérive ethno-nationaliste qui prendra toute son ampleur dans les années 1990 avec la promotion de « l’ivoirité » fournissant le référentiel de l’exclusion des « étrangers » – dans une acception large – qui avaient pourtant été les chevilles ouvrières du développement national. Le foncier deviendra très vite la pierre angulaire de cette rhétorique.

La loi sur le domaine foncier rural, publiée le 23 décembre 1998, organise le titrage systématique des droits coutumiers en droits de propriété privé. Depuis le premier coup d’Etat de décembre 1999, sa mise en œuvre a été régulièrement retardée, d’autant plus que l’application systématique et brutale de politiques de formalisation des droits coutumiers sous forme de titres de propriété privée est très discutée. Ces programmes de formalisation restent  difficiles à mettre en œuvre dans des situations de conflit, et peuvent même contribuer à les exacerber voire à les créer là où il n’y en avait pas, comme l’a montré l’expérimentation des projets pilotes de Plan foncier rural menée dans les années 90.

Certaines dispositions de la loi contribuent clairement à attiser les tensions latentes. Elles consacrent en effet l’exclusion des non-ivoiriens de la propriété foncière, alors que, dans la zone forestière, 26 à 45% des exploitants, selon les régions, sont des non-nationaux qui ont accédé à la terre par des transactions avec les « propriétaires terriens » coutumiers autochtones. Dès sa promulgation, la loi a donné lieu à une information partisane déformée et à des interprétations contradictoires qui ont contribué à attiser les tensions foncières intercommunautaires.