Sénégal
Le Sénégal a promulgué dès le lendemain de l’Indépendance une Loi sur le domaine national (loi 64-46 du 17 juin 1964) qui verse toutes les terres non immatriculées (sur la base du décret du 26 juillet 1932) dans le domaine national. Celui-ci est divisé en 4 zones distinctes : les zones urbaines, les zones pionnières (dans lesquels sont réalisés les grands aménagements hydro-agricoles publics), les zones classées et les zones de terroir, consacrées à l’agriculture et l’élevage. Le domaine de l’Etat, subdivisé en domaine public et domaine privé et régi par la loi 76-66 du 2 juillet 1976, est venu ensuite compléter ce cadre juridique.
La loi sur le domaine national a connu de nombreuses difficultés d’application du fait de l’inachèvement de son opérationnalisation (certaines dispositions n’ont jamais été clarifiées) et par le fait qu’elle n’a jamais été totalement acceptée par les populations, qui se sont vus retirer leurs droits coutumiers au profit d’un simple droit d’usage révocable en cas de non mise en valeur de leurs terres. Avec les lois sur la décentralisation de 1972 et 1996, la gestion du foncier des zones de terroir a été transférée aux communautés rurales (actuellement communes rurales), collectivités locales qui regroupent plusieurs villages, mais sans que celles-ci aient vraiment les moyens d’exercer leurs compétences en la matière. Le système de gestion coutumier des terres a donc perduré dans la plupart des régions du Sénégal, avec l’accord tacite de l’administration et des élus locaux.
Ce n’est qu’à partir des années 90 que le gouvernement met à l’ordre du jour de son agenda politique la réforme du foncier rural, et élabore une proposition de Plan d’action foncier (1996). Celui-ci soulève une forte opposition aussi bien des élus locaux que des organisations paysannes, en raison de son orientation en faveur d’une privatisation des terres. La crise en Casamance fait aussi redouter à l’Etat de nouvelles tensions et il abandonne rapidement ce projet de réforme. Cela donnera néanmoins l’occasion aux organisations de producteurs (CNCR) de clarifier leur vision du foncier et de faire des propositions de réforme foncière, dont l’esprit sera intégré dans la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP) promulguée en 2004 et permettra de juguler les tentatives de réforme du président Wade en faveur d’une privatisation du foncier et de la création de vastes domaines réservés aux investisseurs privés.
Le nouveau président Macky Sall met en place, après son élection, une commission nationale de réforme foncière (CNRF) chargée de proposer un texte de politique foncière. Cette commission s’appuie sur un processus participatif qui associe les différents acteurs du monde rural à travers la réalisation d’ateliers au niveau inter-communal et départemental, associant largement les organisations de la société civile. Ce processus multi-acteurs a permis d’élaborer un nouveau document de politique foncière qui a été soumis début 2018 aux plus hautes autorités, mais demeure sans suites depuis la dissolution de la CNRF et le refus du Président Macky Sall d’ouvrir un dialogue sur les propositions qui ont été faites. Depuis lors, différents projets de développement conduits dans de nombreuses régions du pays agissent sur la gouvernance foncière, sans qu’un document politique clair indique la vision sous-tendue par ces projets, faisant craindre à la société civile la mise en œuvre d’une « réforme en douceur » qui ne prendrait pas en compte toutes les aspirations et besoins des acteurs ruraux.